À l’abri du miroir

On parle souvent du choc du reflet.
Mais rarement de ce que cela change… de ne pas le croiser.

Il y a quelque temps, j’ai entendu Mel Robbins parler d’un phénomène qui m’a interpellée :
la plupart de nos complexes naîtraient d’un événement déclencheur.
Une remarque blessante. Un regard moqueur. Une situation marquante qui inscrit dans notre corps une gêne, une honte, un malaise.

J’ai trouvé cette théorie juste.
Et pourtant, je ne m’y suis pas complètement reconnue.

Après l’opération

Quand j’ai subi l’opération de la mâchoire, mon visage a changé.
De façon visible, radicale.

Mais à ce moment-là… je ne me suis pas regardée.

Pas de miroir à l’hôpital.
Pas de selfie. Pas de reflet de vitre.
Juste la douleur, la fatigue, et une forme de survie douce.

Et avec le recul, je crois que ça m’a protégée.

Je n’ai pas figé cette transformation dans une image brutale.
Je n’ai pas ancré, dans ma mémoire, une première fois douloureuse où je me serais reconnue autrement.

J’ai mis du temps à me voir.
Et ce temps m’a permis de rester connectée à qui j’étais.
Pas à ce que je voyais.

Un reflet qui arrive en douceur

On croit souvent que l’image de soi se reconstruit grâce au miroir.
Mais parfois, c’est l’absence de miroir qui nous préserve.

J’ai été entourée de bienveillance.
À l’école, pas de remarques blessantes.
Pas de harcèlement, pas de rejet.
J’y allais peu-être trop peu pour cela.

Mais au fond, j’avais peur du regard des autres.
Pas parce qu’ils m’avaient fait du mal.
Mais parce que j’avais projeté sur eux ce que moi-même, je redoutais de voir.

Un a priori.
Un filtre.
Un doute sur leur capacité à m’accueillir telle que j’étais devenue.

Et pourtant, ils ne m’ont pas rejetée.
C’est moi qui, par protection, ai pris un peu de distance intérieure.
Comme pour éviter de trop voir à travers leurs yeux ce que je n’étais pas encore prête à regarder.
Comme si ne pas nommer ce qui avait changé rendait les choses plus simples à vivre.

Et c’est vrai que ce silence, cette absence de violence, m’a permis de ne pas cristalliser une blessure sur mon apparence.

Un regret… et un sens

Je ne dis pas que tout a été simple.
Il est vrai que j’aurais aimé que la partie gauche de mon visage soit moins marquée par la maladie.

Mais en même temps, c’est elle qui m’a permis de dire au monde ce que j’ai traversé.
De raconter sans mots.
D’être vue, dans cette vérité-là.

Mon reflet, je l’ai apprivoisé lentement.
Et je crois que ce délai, ce décalage entre transformation et confrontation, a été une forme de grâce.

Ce que je garde

Je n’ai pas eu de choc devant le miroir.
Pas de moment où tout bascule.

Et même si j’ai parfois du mal avec cette partie gauche de mon visage, ce n’est pas un complexe.
C’est une cohabitation. Un apprivoisement.

Par moments, elle me gêne.
Par d’autres, elle me relie.
Elle dit ce que j’ai traversé, sans que j’aie à l’expliquer.

Et peut-être que c’est ça, aussi, porter l’après : laisser le reflet arriver quand il est prêt.
Et faire de cette image, non pas un combat, mais un espace de lien.

Parfois, ne pas se voir trop tôt, c’est ce qui nous permet de ne pas se figer dans une image qu’on n’a pas encore appris à habiter.

C’est ce que je voulais écrire ici.
Pour nuancer. Pour remercier.
Et pour laisser une place à toutes les histoires où la douceur a fait contrepoids au choc.

Prends soin de toi et porte toi-bien,

Laura, ta complice de style, de sens, et d’après

Crédits photos : Cindy Wogenstahl

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